Fin des années 1980. Les Américains de Disney règnent sur le monde du divertissement, quand une poignée d’irréductibles Gaulois décident de résister. Ils ouvrent près de Paris un parc à thème, qui s’apprête à fêter ses 30 ans.

C’est tout émerveillé de son séjour en Californie qu’il rentre en France. Il est peut-être même encore sous le choc : des sensations comme celles-ci, il n’y a qu’à Disneyland qu’il les a éprouvées. C’est que les Américains ont le don de vous en mettre plein la vue… Et depuis son retour, Albert Uderzo ne rêve que d’une chose, ouvrir un parc similaire en France. A ceci près qu’il rendrait hommage à son héros Astérix et à sa petite tribu, tout en véhiculant la culture française de l’invincible Gaulois.

Nous sommes en 1981, François Mitterrand vient d’être élu président, mais Astérix, le personnage qu’Uderzo a créé avec René Goscinny, lui vole la vedette, explosant tous les scores de popularité. Depuis qu’il a vu le jour, en 1959, sous les coups de crayon du dessinateur, il est la coqueluche de tous les Français.

Les investisseurs sont enthousiastes

A une époque, avec l’ami Goscinny, fin connaisseur des Etats-Unis, ils parlaient de cette idée de parc jour et nuit. Mais, depuis la disparition du scénariste, en 1977, Uderzo se sent seul. Désormais, il doit tout concevoir, du scénario aux dessins de ses albums. Heureusement, il y a ce projet qui lui regonfle le moral.

Cela fait maintenant trois ans qu’il en parle à tout le monde. Y compris à son gestionnaire de compte à la Barclays qui, enthousiaste, s’empresse d’en parler à son directeur général, Eric Licoys. Celui-ci se dit prêt à lui donner un coup de main. Et les voilà réunis autour d’une table avec une vingtaine d’investisseurs – la Région Picardie, le géant hôtelier Accor, la Compagnie générale des eaux, Havas, l’Union des assurances de Paris… –, à s’atteler au montage financier du parc.

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C’est en 1985, l’année suivante, que la société Parc Astérix voit le jour, avec un capital de 250 millions de francs (près de 60 millions d’euros actuels).

Tous croient au projet, on l’imagine déjà comme le premier parc à thème d’envergure européenne. Dans cette France gagnée par la fièvre des loisirs, où les resorts et les stations de ski poussent comme des champignons, ça marchera ! Le dernier rapport de la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’activité régionale annonce d’ailleurs un développement sans précédent des parcs d’attractions. D’après les estimations, ils seront bientôt une centaine en France.

Pour rentabiliser l’investissement, estimé à 850 millions de francs (près de 204 millions d’euros actuels), il faut attirer 2 millions de visiteurs. Au vu de ces objectifs élevés, il s’agit donc de s’entourer des meilleurs. A commencer par Michel Kalt et Jean-Michel Ruols, duo d’architectes concepteurs des premiers parcs aquatiques en France, qui seront épaulés par 40 autres professionnels.

Pour la scénarisation de la visite, Uderzo a sa petite idée. Il veut Pierre Tchernia, l’ami intime de Walt Disney, qui a adapté avec succès des albums d’Astérix en dessins animés. Les scénaristes Marcel Gotlib et Fred, ainsi que les acteurs Roger Carel et Gérard Hernandez insufflent, eux, une dose d’humour. Ils ne se sont jamais frottés à un tel projet, mais sur le terrain, le designer californien Ira West les accompagnera.

L’emplacement ? A 38 kilomètres au nord de Paris et à 10 kilomètres de l’aéroport de Roissy, près de l’autoroute A1, la commune de Plailly, dans l’Oise, présente tous les atouts. Patrice Tournier, spécialiste de concepts de projets immobiliers, y a même dégoté un terrain à louer avec un bail de quatre-vingt-dix ans.

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Quelques inquiétudes chez les riverains

Mais lorsqu’on émet l’idée, en 1987, de construire un échangeur autoroutier pour relier le parc à l’A1, levée de boucliers chez les habitants ! Les opposants vont jusqu’à racheter un terrain voisin pour faire capoter le projet. Pas de quoi intimider Olivier de Bosredon, qui vient de remplacer Eric Licoys à la présidence du parc, et obtient du Premier ministre Jacques Chirac le raccordement, déclaré d’utilité publique.

Reste que, lors des réunions organisées avec les habitants de Plailly, on imagine le pire. Le parc Mirapolis, qui vient d’ouvrir à Cergy, n’est déjà pas un franc succès. Et lorsqu’on annonce que, sur les 170 hectares prévus, il n’en faudra qu’une vingtaine pour construire le parc, chacun y va de son petit fantasme : on leur cache la construction de blocs bétonnés, de type HLM, peutêtre même un site d’enfouissement de déchets radioactifs…

Dans la ville voisine de Senlis, pour se préparer à l’invasion de Franciliens, on crée une association de défense de l’environnement. Mais Olivier de Bosredon sait comment convaincre les élus du conseil régional : avec un séjour à Disney World, en Floride. Ainsi, ils jugeront par eux-mêmes.

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En cet hiver glacé de 1987, le chantier mobilise jusqu’à 1 000 ouvriers. Si Albert Uderzo a cédé la licence d’exploitation de son personnage au parc, pas question de déléguer la supervision. Sur place, casque vissé sur le crâne, il contrôle tout. On veut planter une pancarte ? Il faut son consentement. On souhaite installer des huttes ? Il choisit leur disposition et les matériaux : du bois et de la paille.

La Via Antiqua et le Village d’Astérix viennent d’être construits ? C’est insuffisant, juge Pierre Tchernia. Astérix mérite d’être inscrit dans l’Histoire de France ! Alors, on ajoute une extension : la Rue de Paris qui, avec son parcours scénarisé, retracera mille ans, du Moyen Age aux années 1900. Sur le terrain, la bande dessinée prend des allures de roman historique.

Ici, contrairement à Disney, on ne veut pas faire dans le sensationnel, on reste fidèle à l’esprit des albums. Pour se démarquer, on mise surtout sur l’humour, l’esprit ronchon et bagarreur d’Astérix le Gaulois. Pour jouer cette carte franchouillarde, on inscrit au menu des restaurants des hamburgers au sanglier, et l’on promet la tenue de banquets.

Côté installation, on espère tirer son épingle du jeu avec ce delphinarium, ses trois bassins de 4 000 mètres cubes d’eau, son usine de retraitement de l’eau marine usée et sa trentaine de dauphins et d’otaries. Perché à 30 mètres de haut, sur son rocher – sculpté à la main dans des blocs de mousse polyuréthane –, un Astérix de 7 mètres attend le visiteur.

L’univers de la BD fidèlement rendu

On n’aurait jamais imaginé un tel succès, ce dimanche 30 avril 1989, jour de l’ouverture officielle. Les gens affluent par milliers, au point de faire disjoncter les caisses IBM. S’avançant sur la Via Antiqua, ils découvrent, subjugués, une mini-ville, avec ses échoppes, son marché de Lutèce et ses artisans. Des sculpteurs sur pierre, des forgerons et des potiers façonnent devant eux leurs créations.

Et lorsque la parade, menée par Cléopâtre, commence, avec ses quatre chars et sa centaine de figurants, on se pince pour y croire. « Mais, on est à Disney ! » s’écrient les connaisseurs. Plus loin, dans la Cité romaine, criblée de panneaux et d’inscriptions humoristiques, c’est bien l’univers d’Astérix qu’ils retrouvent.

Sur le chantier, Uderzo n’a-t-il pas confié qu’il avait l’impression d’« entrer dans (ses) propres coups de crayon » ? Quant aux amateurs de sensations fortes, entre le Rapid River, une attraction aquatique à bord de grosses bouées, les montagnes russes Goudurix et le Grand Splatch, qui sillonne à toute allure le rocher d’Astérix, ils ne savent plus où donner de la tête.

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Trois jours plus tôt, le 27 avril, sous une pluie battante, les abonnés de Canal+ ont découvert les lieux en exclusivité. « C’est un univers de poésie, de beauté et d’humour, confie le ministre de la Culture Jack Lang aux caméras qui couvrent l’événement. Le parc est créateur d’emplois, d’activités et de revenus pour la région. » Sur place, 2 000 employés, dont 950 saisonniers. Des étudiants en majorité, et des jeunes du coin, sans diplôme, recrutés sur les listes de l’ANPE, dont le salaire peut atteindre jusqu’à 6 500 francs (environ 1 567 euros actuels).

Mais ce dimanche après-midi, les râleurs se font entendre. Entre les embouteillages, les restaurants bondés et les files d’attente devant les attractions, certains sont excédés. A l’entrée, on doit désormais rebrousser chemin. Le parc est encombré, 12 000 visiteurs s’y sont déjà précipités. Assis sur le toit de sa Saab, un quadra avec enfants, assure que, tant qu’on ne lui aura pas garanti l’entrée au parc, il ne bougera pas.

Le week-end suivant, il préférera une balade à la campagne, économisant les 140 francs du billet (34 euros actuels). Au pire, il attendra l’ouverture d’Eurodisney, prévue en 1992. Cet impitoyable concurrent pourrait bien vider le parc de ses visiteurs. Dans le village des irréductibles Gaulois, on n’est pas inquiet. Si on a su résister à l’envahisseur romain, ce n’est pas une petite souris américaine qui aura la peau d’Astérix.

Ce récit a été nourri des entretiens réalisés avec Olivier de Bosredon, ex-président du Parc Astérix, et Alain Trouvé, ex-directeur.

Source : leparisien.fr

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