Première destination touristique européenne, Disneyland Paris fête depuis ce week-end ses 25 ans.
À cette occasion, le parc a renouvelé ses attractions et ses spectacles.
Bienvenue chez les travailleurs du rêve.
Les visiteurs qui découvrent les quatre «lands» du Parc Disneyland (Frontierland, Adventureland, Fantasyland et Discoveryland) ne se doutent pas qu’il en existe un cinquième, invisible: Castmemberland.
Au royaume de Mickey, les «cast members» sont les employés du parc: 15000 personnes chargées d’animer les attractions, de les entretenir, de les réparer, d’organiser les flux de visiteurs et de les nourrir.
Et tout cela 365 jours par an.
Depuis plusieurs mois, l’activité en coulisses va crescendo à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de Disneyland Paris: nouvelle parade, nouveau spectacle nocturne, nouvelles attractions… et même un nouveau costume bleu et argent pour Mickey et Minnie.
Rencontre dans l’envers du décor avec les artisans de la «magie Disney».
Les chars à la parade
Avec ses tatouages et sa casquette de bûcheron, Olivier Dusautoir détonne au bureau de scénographie.
C’est pourtant à ce hipster fan de Tim Burton que la toute nouvelle Parade des personnages Disney devra en grande partie son succès.
Voilà deux ans que le concepteur scénographe modélise les sept chars, qu’il sculpte en 3D comme une pâte à modeler.
La tortue géante en porte-à-faux sur le char de Nemo menace de déséquilibrer la structure?
A lui d’imaginer un pilier, pas trop visible, pour faire tenir l’ensemble.
A lui également de présenter les nouveaux héros de la galaxie Disney avec un brin de fantaisie et de liberté.
C’est ainsi que Sven, le renne de La Reine des neiges, sera représenté à la façon d’un cheval à bascule scandinave.
Surtout, «tous les nouveaux chars seront en deux parties pour donner plus de légèreté et d’élan. Rien à voir avec avant!» Allons voir.
Sous d’immenses tentes à l’abri des regards, les chars n’ont plus rien des plateaux sur roues un brin lourdauds.
«Ils sont articulés comme des marionnettes, pliables pour pouvoir passer sous le pont du train et bourrés de technologie», détaille Ben Spalding, le chef d’orchestre du spectacle.
La lune escamotable du char de Peter Pan atteint 8,50 mètres!
Un dragon géant crachera du feu, des LED ultrapuissantes (les starflash, une création maison) feront un effet «poussière d’étoiles» sur le char de Peter Pan, des bulles s’échapperont du char de Nemo et des canons à neige sur le char final feront tomber une tempête de flocons sur les visiteurs.
En coulisses, une fourmilière de talents au service de la magie Disney
Les danseurs qui accompagnent la Parade, eux, répètent encore la nouvelle chorégraphie, imaginée par Emmanuel Lenormand.
Cet ancien danseur de Douchka a gravi les échelons.
Le voilà metteur en scène chez Disney.
Cinq ans qu’il prépare la Parade aux côtés du chorégraphe Matt West.
«On n’imagine pas le travail que cela représente: l’écriture du scénario, la conception des chars, mais aussi le travail des 70 danseurset performeurs, qui se produiront tous les jours, toute l’année… Le cahier des charges est serré, mais ça décuple l’esprit créatif.»
La motivation, aussi: une Parade est vue en moyenne par près de 60000 personnes.
Dans le vestiaire des princesses
Des rangées de machines à coudre, des étagères croulant sous les rouleaux de tissus et, virevoltant autour des robes de Blanche-Neige, Cendrillon et Aurore, une nuée de petites mains.
Quarante-cinq personnes travaillent à l’atelier couture de Disneyland: modélistes, modistes, couturiers…
C’est ici que se fabriquent (et se réparent) les costumes des personnages Disney, des danseurs, jongleurs, et même des poupées animées de It’s a Small World (Fantasyland).
Vanessa, la perruquière, est occupée à piquer un à un les poils de barbe et les cheveux d’un Pirate des Caraïbes.
La modéliste Luciana s’affaire sur la nouvelle tenue de la Fée Clochette, en velours bleu nuit brodé et strassé.
«La fée va sortir sous tous les temps, tous les jours et pendant des années. Il faut donc des matériaux résistants, ergonomiques… et esthétiques, bien sûr», explique Suzan Surrel, qui dirige l’atelier.
En cas d’imprévu, les personnages ont tous six à douze tenues de rechange.
Chaque costume est lavé tous les jours.
Pour les 25 ans du parc, la garde-robe de Mickey et Minnie change du tout au tout. Adieu le pantalon rouge, la jaquette noire et le papillon jaune: la célèbre souris sera vêtue d’un smoking bleu et argent.
Son costume de parade, dans un style rétrofuturiste à la Jules Verne, a nécessité une impression par sublimation et fait l’objet de tous les soins.
Le chapeau de sa compagne a donné du fil à retordre aux modistes: sept prototypes avant de trouver le bon!
L’atelier dispose de tous les tissus possibles: satin, soie, coton, organza, lins et velours… Près de 500 références au total.
Les employés du parc ont eux aussi droit à leurs tenues et à leurs vestiaires.
Dans le bâtiment Imagination, situé hors de la vue des visiteurs, les vêtements sont classés par taille, par «land» et par métier dans d’immenses rayonnages.
A toute heure, chacun vient décrocher son habit: gilet écossais, ciré jaune, jupe hawaïenne, sarouel bariolé, salopette de cheminot…
Un cow-boy pioche son bandana dans un tiroir, un pirate son jabot, une femme de chambre sa charlotte.
Ici se croisent le vendeur en boutique, le serveur, l’hôtesse de billetterie et l’opérateur-animateur d’attraction.
Une fourmilière costumée…
La féérie des illuminations
Il est minuit dans le jardin du bien, plus exactement le Central Plaza, face au château de la Belle au Bois Dormant.
Dans le parc vide de tout visiteur, loin des regards indiscrets, le spectacle Disney Illuminations va commencer.
Créé spécialement à l’occasion du 25e anniversaire du parc, ce show nocturne dynamite les lois du son et lumière.
A la projection vidéo et à la musique s’ajoutent des effets de laser, des projections de flammes, des jets d’eau et des feux d’artifice dignes d’un 14 juillet sous la tour Eiffel.
Tout cela projeté sur et autour du château, transformé tour à tour en salle de bal, en anémone de mer ou en vaisseau spatial.
En plus des images d’animation, des images de film (dont le tout récent La Belle et la Bête) sont projetées pour la première fois sur la façade du château grâce à une ribambelle de vidéoprojecteurs.
Ajoutons les 15 générateurs de flammes cachés entre les créneaux du bâtiment, les 600 feux d’artifices tirés depuis les toits voisins, les 43 fontaines des bassins, les quatre lasers…
Ce déluge visuel et sonore, Céline Coquin n’en a rien vu ce soir-là.
Postée derrière le château, la productrice déléguée au spectacle vérifiait qu’aucune projection pyrotechnique ne retombait dans la zone de sécurité.
«Tout est en ordre à ce niveau-là, mais il reste quelques réglages. Les pyrotechnies font trop de bruit et la musique n’est pas encore mixée. Il nous faut spatialiser les effets sonores», diagnostique-t-elle.
Nouvelle parade et attractions réhabilitées : Disneyland fait peau neuve
Comme elle, une trentaine de spécialistes du son, des lumières ou de la pyrotechnie ont assisté à la répétition.
Comme toutes les nuits depuis la fin janvier, ils débrieferont longuement pour corriger les imperfections.
La présence de Steve Davison, le concepteur du show, ajoute un peu de pression.
«Ce spectacle est une création maison qui aura demandé deux ans de travail. Il nous faut trouver le bon dosage entre les feux d’artifice, la musique, les images, etc. La projection de vidéo sur le château n’est pas facile car sa façade est étroite, compliquée, pleine de zones d’ombre. Bref, ce n’est pas un écran plat! La technologie est très présente, mais on ne doit surtout pas la voir. Mon but est de scotcher les spectateurs au point qu’ils oublient de sortir leur smartphone.» Minuit et demi.
Céline a encore du travail dans le parc illuminé.
Elle n’est pas la seule.
Les 25 ans approchent.
A 3 heures du matin, les allées du parc grouillent encore de jardiniers, de peintres, de personnel d’entretien.
Le réveil de star tours
Dans la grande fabrique à rêves Disney, Björn Heerwagen joue un rôle essentiel.
Cet Anglais de Liverpool exerce la profession d’«imagineer», un métier inventé dans les années 1950 pour la conception du premier Disneyland.
Cet ingénieur de l’imaginaire a pour tâche de mettre en forme les attractions imaginées outre-Atlantique par les créatifs Disney.
«L’objectif est d’offrir au spectateur une expérience immersive, de le plonger complètement dans un univers.» Celui de Ratatouille en 2014, attraction multisensorielle construite dans un décor surdimensionné («un énorme défi!»).
Celui de Peter Pan et de la Cabane des Robinson, rafraîchis l’an dernier.
Ou celui de Star Wars pour l’attraction Star Tours, arrêtée depuis plus d’un an pour faire peau neuve.
A deux semaines de la réouverture ce week-end, on s’active furieusement chez Dark Vador. Dans un décor d’aéroport spatial, on meule l’acier, on tire des fils, on programme les derniers effets spéciaux de R2D2… «Quarante corps de métiers sont engagés sur cette attraction. Et ce n’est pas une mince affaire de les coordonner! Construire une attraction prend cinq ans, autant de temps qu’un dessin animé», explique Björn.
Pour Star Tours, les créatifs et les ingénieurs ont vu les choses en grand: six nouveaux simulateurs de vol proposeront plus de 70 combinaisons différentes de voyage.
Les spectateurs visionneront ces films en 3D dans des cabines secouées en tous sens, mais pas tout à fait de la même façon selon qu’ils se trouveront à Jakku, à Tatooine ou sur l’Etoile de la mort.
Talkie-walkie et casque de chantier sur la tête, Björn contrôle le réglage des simulateurs, supervise la finition des décors, arbitre le choix d’un matériau.
«Je visite constamment les artisans aux quatre coins du monde, je lance des appels d’offres pour la réalisation de différents éléments du décor. On trouve toujours de nouveaux produits, des résines plus légères.» Encore quelques derniers réglages et l’on pourra enfin débâcher l’attraction.
Princesse Leia est déjà prête à rencontrer ses fans.
Chez les alpinistes de la maintenance
C’est une cathédrale d’acier noir où s’enchevêtrent piliers et escaliers en colimaçon.
Les volutes délirantes des rails s’enroulent dans ce décor d’une noirceur galactique.
Nous voici dans les entrailles de Space Mountain.
L’attraction phare de Discoveryland rouvre au public en mai sous un nouveau nom (Hyperspace Mountain) et un nouveau concept: un voyage supersonique dans l’univers de Star Wars.
Lancés à toute allure, les engins frôleront des météorites, dévaleront en loopings et vrilles dans une ambiance de bataille spatiale…
Pour sécuriser l’attraction, le parc fait appel à des alpinistes ouvriers pilotés par Fred Foli, de la société Adrenaline.
Vingt et un ans que cet ancien spéléologue et sa fine équipe bichonnent le monstre d’acier.
A eux d’ausculter les 1200 mètres du parcours, de vérifier l’état des 1400 traverses, de vérifier les points de soudure et les jonctions de voie pouvant montrer des signes de faiblesse.
«La structure, qui s’étire sur 35 mètres de hauteur, impose de s’encorder, que l’on soit soudeur, chaudronnier, maçon ou tailleur de pierre. Mon équipe compte d’anciens chasseurs alpins qui sont aujourd’hui monteurs ou techniciens cordistes. Les techniques d’accès que l’on utilise ici sont celles de la spéléologie, tout comme notre matériel: harnais, casques, bloqueurs, etc.» Suspendus à la boucle d’un looping, les acrobates en casque de chantier et gilet fluo montent les caillebotis, garde-corps et filets de sécurité pour les autres sous-traitants qui interviennent sur le site.
Quand il n’œuvre pas dans ce décor de science-fiction, Fred Foli intervient sur d’autres chantiers en hauteur: la Cité du Vin à Bordeaux, le pont d’Aquitaine, le Moulin Rouge pour le prochain film d’Alain Chabat.
Quant à la maintenance classique, elle est assurée chaque jour par près de 500 employés du parc.
Hurlez tranquilles, vous êtes en sécurité.
À table avec Walt
Walt Disney avait un bon coup de crayon.
Il avait aussi un bon coup de fourchette.
«Attentive à ses goûts, sa cuisinière Thelma lui préparait de bons petits plats. Mais n’étant pas un fin gastronome, il se contentait souvent d’avaler des conserves pour aller plus vite!» sourit le chef Ludovic Mallac.
Aux fourneaux du Walt’s, le meilleur restaurant du parc, ce dernier a donc revu et corrigé les recettes de Thelma.
Walt avalait son hamburger avec du chili con carne en boîte?
Nous dégustons un pain aux céréales avec viande charolaise, cheddar AOC et un délicieux chili maison servi dans une conserve en porcelaine blanche.
Le crabe dont raffolait Walt est retravaillé en chair de tourteau aux épices.
Les cèpes et le piment d’Espelette s’invitent dans le suprême de volaille de Thanksgiving.
Et l’ananas, que l’oncle Walt dévorait en boîte, gagne en fraîcheur avec un sirop de vanille et un sorbet ananas-basilic.
Quant au miel qui parfume la longe de porc du Walt’s, il ne vient pas du pot de Winnie l’Ourson, mais des ruches installées au ranch Davy Crockett.
Le parc a accueilli plus de 320 millions de visiteurs depuis 1992
Le beurre d’Isigny, que l’on trouve dans tous les restaurants du parc avec services à table, a lui aussi sa petite histoire: Walt Disney avait de lointains ancêtres normands, plus exactement d’Isigny, dont Disney est une déformation.
Dans le Parc Walt Disney Studios, le second parc de Disneyland, le Bistrot Chez Rémy est une attraction en soi.
En clin d’œil au film Ratatouille, on s’y attable dans un décor disproportionné, conçu à l’échelle d’une souris: les tables sont des pots de confitures, les chaises des capsules de champagne, les portemanteaux des fourchettes.
Dans les assiettes: une (délicieuse) ratatouille, un filet de bœuf comme dans les brasseries parisiennes et même du brie de Meaux truffé.
On l’oublierait presque, mais Marne-la-Vallée se trouve aux portes de la Brie.
La souris Mickey avait dû sentir l’odeur du fromage…
Les artistes au service de Mickey
Sur les 500 métiers exercés à Disneyland Paris, certains sortent de l’ordinaire: palefrenier, cascadeur, doreur à l’or fin.
Dans son atelier qui sent la limaille, Eric Peigné manie le chalumeau, le coupe-verre et la pince à gruger.
Cet ancien menuisier décorateur est devenu vitrailliste, le seul du parc.
Ses mains adroites voient passer les vitraux du château de la Belle au Bois Dormant et ceux des décors victoriens de l’Emporium, des boutiques, de la gare.
«Des centaines de mètres carrés de vitraux! Ceux des cathédrales durent des siècles, mais les nôtres sont accessibles au public, qui ne se prive pas de les toucher, ce qui finit par les user, voire les casser.» Le budget de restauration des vitraux atteint 150.000 euros par an.
«Nous travaillons ici comme il y a deux cents ans: la technique reste la même. On renoue même avecdes vieilles activités 1900, comme la ferblanterie», ajoute Eric en fignolant une lanterne en laiton pour le Big Thunder Mountain.
«Ce qui donne vie à une attraction, ce sont aussi ce type d’accessoires. On ne les remarque pas toujours, mais s’ils manquaient, ça se verrait.»
Plus loin, dans l’immense hangar Aladdin où sont regroupés les artisans, un véhicule de Toy Story attend d’être réparé, tandis qu’un accessoiriste repeint un coffre de pirate.
Derrière une lourde porte, cinq peintres en lettres s’appliquent à peindre à la main les enseignes des attractions, des boutiques, et jusqu’à la signalétique du parc.
Jacqueline Le Vezu, qui a vu celui-ci se construire, ne se lasse pas de son métier.
Un jour, il faut peindre l’enseigne du Petit Train du Cirque à la feuille d’or 24 carats.
Un autre, il faut se hisser en nacelle jusqu’aux tourelles de l’Auberge de Cendrillon pour en décorer la façade. «Le choix des couleurs obéit à une charte graphique qu’il faut suivre scrupuleusement», souligne Jacqueline en consultant trois nuanciers posés sur son bureau.
Contraignant? «On est finalement assez libre, du moment qu’on respecte les personnages de Disney.»
Source : Le Figaro