5 salariés en procédure de licenciement après la grève à Disneyland Paris

by Mister Andro
8 minutes de lecture IORGIS MATYASSY POUR « M LE MAGAZINE DU MONDE »

Cinq salariés du parc, dont deux délégués du personnel, ayant participé au mouvement social historique de juin 2023, sont visés par des procédures de licenciement. Les syndicats dénoncent « des atteintes graves au droit de grève » et une tentative de « dissuader les employés de reprendre la grève en septembre ».

Au pays de Mickey et des contes de fées, faire grève peut se terminer en procédure de licenciement

Depuis mai dernier, Disneyland Paris est traversé par un vaste mouvement social qui a culminé le 3 juin dernier, avec une mobilisation de plus d’un millier de « cast members », les employé·es de la souris, qui ont défilé dans les allées du parc pour réclamer 200 euros d’augmentation et de meilleures conditions de travail. 

À l’origine de ce mouvement inédit, un petit comité constitué par des employé·es chargé·es de la maintenance des attractions, soutenu ensuite par des syndicats représentatifs, dont l’Unsa et la CGT. Début juillet, à l’approche de la période estivale où nombre de salarié·es sont remplacés par des saisonniers, les syndicats ont décidé de mettre sur pause le mouvement. 

Alors que l’orage social semblait à peine retombé sur le parc d’attractions, cinq grévistes, parmi lesquels deux délégués du personnel, ont appris le 25 juillet leur convocation à un entretien préalable au licenciement. Quatre d’entre eux ont été entendus par les responsables des ressources humaines du parc, le cinquième étant encore en congé. Ils n’ont pas été mis à pied mais dispensés de leurs obligations de travail – ils sont donc toujours rémunérés. Selon les informations de Mediapart et comme indiqué par BFMTV, l’ensemble des faits qui leur sont reprochés concerne leur participation à des actions de grève. 

Pendant les entretiens, la direction de Disneyland Paris a en particulier reproché aux salarié·es grévistes d’avoir entravé le 6 juin la tenue du spectacle censé conclure la journée des visiteurs « dans une apothéose de musique, d’effets spéciaux et de pyrotechnie ». Ils sont ainsi accusés d’avoir « occupé les lieux de façon abusive » et, ce faisant, d’avoir empêché « l’offre de service » du parc d’attractions, causant un préjudice financier que Disneyland évalue à 80 000 euros.

« Perturber le bon fonctionnement du parc pour que la direction prenne au sérieux nos revendications, c’est le sens même d’une grève », pointe un délégué Unsa. Il est à noter qu’avant chaque journée de mobilisation, le parc avertissait les visiteurs du risque d’annulation des spectacles et des parades, leur offrant la possibilité de décaler sans frais leur séjour.

« Les procédures qui visent nos collègues constituent des atteintes graves au droit de grève, elles n’ont pas d’autre but que de sanctionner des salariés dans l’exercice de leur droit constitutionnel, poursuit le délégué syndical. L’objectif de Disney est de faire peur par tous les moyens et de dissuader les employés de reprendre la grève en septembre. » 

Interrogée à plusieurs reprises par Mediapart, la direction de Disneyland Paris n’a pas souhaité commenter les procédures en cours, afin, justifie-t-elle, de « préserver les droits de [ses] employés et ceux de l’entreprise ». 

Disney allègue un préjudice pour l’image du parc

Mais Disneyland Paris ne digère pas les répercussions négatives du mouvement social sur son image. La direction avance que « l’annulation des spectacles a été relayée massivement par la presse et sur les médias sociaux », ce qui a généré beaucoup de commentaires et « porté un préjudice à l’image de l’entreprise ». Pour la direction du parc, il ne fait aucun doute que les salariés grévistes avaient « l’intention de nuire à [leur] employeur » en « mettant délibérément à mal l’expérience des visiteurs ». 

Par ailleurs, l’un des cinq salarié·es visé·es par une procédure de licenciement est accusé de comportements violents au cours de la grève du 3 juin. Ce jour-là, Disney avait placé le cortège sous l’étroite surveillance d’une société de sécurité externe. L’entreprise reproche au salarié d’avoir bousculé les agents de sécurité qui empêchaient les grévistes d’accéder au parc d’attractions secondaire « afin de créer une brèche dans le dispositif de sécurité ».

Une attitude qui, selon Disney, a contribué à mettre en danger les clients et les employés du parc, au point de « choquer certains visiteurs pris en charge par le service de premiers soins ». Le parc affirme disposer d’images prouvant ces allégations, mais refuse pour l’heure de les fournir. 

Pour l’un des « cast members » ciblés, « les dossiers sont vides : ils ont copié-collé les mêmes griefs pour [eux] cinq ». Il regrette l’attitude de Disney, qui « n’a pas trouvé d’autres réponses aux revendications des salariés que la répression du mouvement social ». Il raconte, un peu amer, avoir été traité par Disney comme un « criminel » pendant son entretien : « J’ai été accueilli par une quarantaine d’agents de sécurité dans un bâtiment entièrement vidé de ses employés. J’avais l’impression d’être un danger pour l’entreprise. »

Le salarié, pas encore fixé définitivement sur son sort, estime que la direction de Disney « cherche à couper des têtes pour décourager le mouvement ». « À ce rythme, seule une petite centaine de salariés parmi les plus déterminés reprendront la grève à la rentrée », déplore-t-il.

Tout à sa volonté de se renseigner sur les mouvements revendicatifs au sein de ses équipes, Disney a aussi consulté des messages privés échangés sur le principal groupe de discussion des grévistes, sur un outil informatique n’appartenant pas à l’entreprise.

La direction du parc s’appuie même sur ces bribes de conversations interceptées pour reprocher à l’un des salariés grévistes « des messages particulièrement musclés et incitatifs à faire preuve de violence ». Le caractère privé de ces échanges semble connu de Disney, puisque l’entreprise les qualifie elle-même de « conversation entre manifestants ».

Selon un conseiller prud’homal, ces procédures « ont de très faibles chances d’être validées par un tribunal, si les licenciements sont actés, car la loi sanctuarise le droit de grève ». Le seul motif valable pour licencier un salarié gréviste est en effet la faute lourde, définie par le Code du travail comme une faute « d’une gravité telle qu’elle rend impossible son maintien dans l’entreprise pendant la durée du préavis et commise dans l’intention de nuire à l’employeur ».

Pour licencier un représentant syndical, la procédure est encore plus contraignante, puisqu’elle doit faire l’objet d’autorisations administratives et recevoir la validation d’un inspecteur du travail. Il paraît peu crédible que Disney obtiendra ce feu vert concernant les deux syndicalistes visés. 

« Même si Disney a peu de chances de gagner aux prud’hommes, l’entreprise est prête à verser d’importantes indemnités, estime toutefois un délégué syndical. C’est pour eux le prix à payer pour éteindre le mouvement social. »

Des élus en soutien des salariés

Plusieurs élus locaux et nationaux de gauche, dont les députés insoumis de Seine-et-Marne Ersilia Soudais et Maxime Laisney, ainsi que la conseillère régionale Julie Garnier (LFI), ont apporté leur soutien aux grévistes visé·es par les procédures. Dans un courrier adressé à la présidente de Disneyland Paris, les élu·es se disent « vigilants à ce que le droit constitutionnel soit bien appliqué chez Disneyland Paris, et que rien d’illégal ne vienne entraver ce droit, ne serait-ce que par des pressions ou des menaces dissimulées ».

Source :  mediapart.fr

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